Debout sur la plus haute branche de l'arbre le plus haut de la forêt, Anthony contemplait le ciel. Les étoiles. Leur beauté était fascinante. D'une simplicité et d'une perfection sans égale. Confidentes rêvées de secrets inavouables, messagères dévouées, et guides infaillibles, elles ne lui avaient jamais fait défaut, et il ne les trahissait pas, son rituel restant le même, leur rendant hommage chaque soir qu'elles lui permettaient de vivre. Il les observait, encore et encore. Il avait perdu sa religion il y a bien des siècles de cela, en même temps que sa naïveté et c'était à elles qu'était revenue cette tâche, le faire espérer. L'espoir ne fait pas vivre, c'est un mensonge, il nous donne l'illusion que notre condition va s'améliorer par l'opération du Saint Esprit. Il suffit juste de volonté pour vivre comme nous l'entendons. Une chaleur insoutenable englobait Londres depuis maintenant trois jours, et le vent ne semblait que se lever à intervalles irrégulières, la nuit. Malgré cela, il faisait doux, et le vent qui ébouriffait ses cheveux était revigorant, un plaisir pur comme il n'en avait pas connu depuis longtemps, un retour à la nature. Il se plaisait à imaginer que ce vent qui soufflait si fort, refroidissant le malaise et la chaleur qui emprisonnaient son corps depuis quelques jours, était en accord avec lui, tel un père qui ne le laissait jamais seul, présent à n'importe quel endroit extérieur, jouant avec son âme d'enfant et exorcisant dans sa colère la sienne. Respirant une dernière fois l'air doux, il quitta la branche de l'arbre pour disparaitre dans l'ombre de la forêt menaçante qui s'étendait devant à des kilomètres devant lui.

Minuit venait de sonner tandis qu'apparaissait le vampire en haut de la colline qui surplombait le manoir des Sykes. Celui-ci trônait là, majestueux et splendide, comme il le fut au temps où il était encore de ce monde. Personne ne savait dans quelles circonstances il était mort. Personne n'avait cherché à le savoir d'ailleurs. Peut-être que son épouse était dans la confidence quant aux obscures raisons de sa disparition. Anthony, lui, n'était pas satisfait par la version officielle. Croire que Sykes avait été assassiné avec une telle facilité, c'était comme penser que les sorciers allait se réjouir de voir Voldemort revenir. Aucun homme censé n'aurait osé s'attaquer à ce vampire et aucun homme vivant n'aurait pu en venir à bout.

L'atmosphère semblait étrangement tendue, la lumière légèrement hâlée que diffusait la lune avait peine à percer les nuages, pas un seul bruit ne filtrait aux alentours. L'endroit était anormalement calme mais il était trop tard pour reculer. S'il y avait un danger en cours de route, Anthony l'affronterait comme il avait pris l'habitude de le faire depuis plusieurs siècles déjà. Trêves de pensées, il fallait se remettre en marche afin de ne pas faire attendre la veuve de Sykes, Honoria of Woodbury, qui allait devoir répondre à certaines questions concernant la mort suspecte de son mari. En effet, Le vampire avait grand besoin des renseignements que pouvait lui fournir la maîtresse des lieux pour traquer le meurtrier de son père, celui qui n'allait plus connaitre aucun répit avant la mort. Honoria était, depuis la disparition de son mari, la seule habitante de ce manoir lugubre et sans vie, le manoir où Anthony Eugène Delacour avait véritablement vu le jour il y a près de 500 ans...

30 mai 1485, manoir des Sykes, Angleterre

Une musique joyeuse et entrainante s'élevait de la demeure. Les chants et les cris retentissaient, une fête battait son plein. Dans ce qui semblait être un immense jardin, les musiciens jouaient de leurs instruments gaiement. A l'intérieur, certaines personnes dansaient et riaient, tandis que d'autres, moins enclines à faire la fête, étaient assises autour dune dizaines de tables réparties dans immense pièce circulaire et lambrissée, au sol revêtu de dalles de marbres précieuses et luisantes. Près de l'entrée, un long et large escalier en chêne massif aussi éclatant que s'il avait été d'obsidienne tandis que deux larges doubles portes demeurant fermées se tenaient à leur gauche comme à leur droite. Ça et là des tapisseries représentant des scènes mythologiques de monstres s'attaquant à des villageois, de dragon survolant des châteaux, de chimères dévorant des hommes étaient accrochées au mur, vieillies et ternies par le temps. Un thème assez spécial revenait souvent puisqu'il s'agissait d'un serpent faisant le tour de la Terre ou encore ouvrant grand la gueule pour avaler un brûlant soleil. Une autre, restée plus en retrait, évoquait une scène de bataille entre des soldats dont certains semblaient courir vers une mort certaine face à un horrible dieu barbu ouvrant grand la bouche pour les avaler... Cette dernière, par ailleurs, avait été déchirée et l'on ne distinguait plus que la tête affreuse à la bouche béante de cadavres.

Assis à la table qui se trouvait au centre de la pièce, un jeune homme à la chevelure blonde, de taille moyenne mais au charisme certain discutait joyeusement avec deux hommes qui semblaient être ses amis. Ses yeux, d'un bleus purs et électriques, voguaient au rythme des jolies femmes qui ne cessaient de défiler devant lui tandis que ses mains étaient occupées par une coupe de vin. Cette fête était en son honneur, et il comptait bien en savourer chaque instant ! En effet, Anthony Eugène Delacour fêtait ses 32 ans aujourd'hui et il avait décidé de le faire en compagnie de tous les nobles anglais. Et bien que ce manoir ne lui appartenait guère, il s'y sentait comme chez lui. En effet, nombre de fois le jeune homme avait fait le voyage jusqu'en Angleterre, chez les Sykes, de vieux amis de ses parents, pour passer quelques semaines dans la tranquillité presque déroutante des contrées du roi Charles VII.

« Joyeux anniversaire monsieur Delacour. »

C'était la millième fois qu'il entendait cette phrase ce soir. Bien qu'il était un las d'entendre sans cesse la même chose, le jeune homme à la chevelure blonde remercia aimablement la demoiselle tout en inclinant légèrement la tête. Ses bonnes manières et son raffinement distingué devaient décidément en faire craquer plus d'une car aussitôt sa réponse dite, la jeune fille rougit et partit en gloussant vers ses amis. C'était étrange de faire cet effet là aux femmes mais à force, on finissait par s'y habituer, comme toutes les bonnes choses de la vie...

« Excusez-moi messieurs, je vais devoir vous quitter un moment. Je n'ai pas encore eu le temps de remercier dignement notre hôte pour cette fabuleuse soirée ! »

Quittant la table discrètement, il monta les escaliers en direction de la chambre du vieux Sykes. Si seulement il avait su à ce moment-là... Si seulement on lui avait dit que sa vie ne serait plus jamais la même une fois qu'il serait là-haut, il aurait peut-être fait demi-tour et serait retourné s'asseoir parmi les autres invités. Malheureusement, il était trop effronté, trop insouciant pour se douter de quoique ce soit. Après tout, il ne pouvait pas savoir que le mal qui rongeait son hôte de l'intérieur était un mal... incurable.

« Approche mon enfant... J'ai soif... Soif de sang... »

Debout devant la fenêtre de sa chambre, Montgomery Sykes scrutait l'horizon. Il semblait plus malade que jamais. Ses cheveux, d'habitude si bien peignés, étaient en bataille? D'énormes cernes entouraient ses yeux d'un bleu pur et éclatant. Jamais il n'avait été aussi maigre et cela durait depuis plus de vingt ans maintenant. Aussi loin que les souvenirs d'Anthony remontaient, jamais il n'avait vu Sykes dans cet état...
En tout cas, il fallait lui venir en aide, il avait soif. Prenant la carafe d'eau au passage, Delacour s'approcha du vieil homme silencieusement et la déposa sur sa table de chevet avant de rebrousser chemin. L'atmosphère était trop tendue pour espérer pouvoir discuter avec Montgomery.

Mais avant qu'il ait pu faire un seul pas, un bras saisit son épaule et le projeta contre le mur avec une telle violence que le jeune homme faillit se briser la colonne vertébrale en heurtant le mur. Sa tête lui faisait un mal de chien et aucun de ses membres ne semblait pouvoir lui répondre. Il était pétrifié par la personne qui s'approchait de lui... Face à cette créature, Anthony n'était rien, rien du tout, il n'était pas de taille à lutter. Il fallait abandonner, cela ne servait plus à rien. Fermant les yeux, il attendit alors le sort que lui réservait Sykes. Ce dernier souleva Delacour, le remit sur pied avant de s'approcher avidement de son cou et planta ses crocs dans la chair du jeune homme. Aussitôt, une douleur intolérable se fit sentir suivit presque aussitôt d'un plaisir incommensurable. C'était comme s'il avait attendu ça toute sa vie, ce second souffle de vie qui coulait dans ses veines, cet échange sanguin et jouissif entre lui et l'homme qu'il allait désormais appelé « père ».
La douleur devenait de plus en plus insupportable, jusqu'à ce que l'obscurité l'engloutisse... une nouvelle fois.

De nos jours

« Je comprend maintenant. C'est vous qui l'avez tué. Vous êtes la seule personne dont il ne se serait jamais méfié... Pourquoi ? Pourquoi avez-vous fait cela ? Je suis désolé, vous deviez mourir. »

Les mains pleines de sang, Anthony s'adressait au corps inerte d'Honoria of Woodburry. Après avoir longuement discuté avec elle, il avait finit par la tuer. Comment ? Les détails vous seront épargnés car l'esprit sadique du vampire aurait raison de votre sensibilité...